lundi 28 juillet 2014

Jean-Luc Mélenchon : Le temps du blues

Un moment de doute ou de fatigue, un ras-le-bol de plus... Comme Mélenchon cette semaine, la tentation du retrait peut aussi toucher les politiques. Certain(e)s l'ont fait, sans regrets.

EDITORIAL ---- ALEXANDRA SCHWARTZBROD
Solitude
En cette période d'actualité tragiquement chargée, le soudain coup de blues de Jean-Luc Mélenchon peut paraître anecdotique, voire surinterprété (après tout, cet homme a peut-être simplement besoin de vacances). Sauf qu'il fait écho à d'autres burn out, comme on dit aujourd'hui (on se souvient de Dominique Voynet balançant dans ces colonnes ce qu'elle avait sur le cœur avant de jeter l'éponge à Montreuil), et qu'il en dit beaucoup sur un monde qui fascine autant qu'il révulse. Ce monde est brutal, on le sait, il faut une constitution de fer mêlée à un mental d'acier pour y résister. Et il arrive que même les plus aguerris craquent ce qui, au fond, est plutôt une bonne chose. La femme ou l'homme politique ne serait donc pas cette machine animée par le seul goût du pouvoir, le ou la voilà soudain humanisé(e) ce qui, en ces temps de décrédibilisation et de démonétisation de la parole politique, redonne un peu d'espoir. Accessoirement, ces coups de blues arrivent rarement à des individus au faîte de leur gloire, ils sont la traduction d'un échec parfois, d'une désillusion souvent, d'une solitude clairement, ils en disent donc long sur la personne concernée, a fortiori sur son parti. "La dépression est une quintessence de la solitude dans ce qu'elle a de plus cruel", a écrit un jour le romancier Tahar Ben Jelloun.
ANALYSE ---- JONATHAN BOUCHET-PETERSEN
Halte las !
Usés par des batailles dans un univers médiatique toujours plus violent, certains élus décrochent subitement, écornant le mythe français du politique insubmersible.
Entre les clash, les claques et les couacs, être une femme ou un homme politique n'a souvent rien d'une sinécure. Défiance de plus en plus aiguë de la part des citoyens, sentiment d'impuissance (partagé par les Français) à changer, non pas la vie, mais au moins le quotidien, accélération du rythme médiatique jusqu'au tournis généralisé... Tout cela alimente, sur fond de crise idéologique majeure où les haines personnelles prennent de plus en plus le pas sur les orientations politiques, une forme de désespérance collective chez les politiques les plus lucides. Et quelques burn out. L'homo politicus est fatigué. Et l'adage selon lequel celui-ci ne meurt jamais, se relève de tout, repart encore et encore au combat électoral auréolé de ses traversées du désert ou des scalps de ses adversaires, a (un peu) vécu.
Certains ont besoin de faire une pause, d'autres disent carrément stop et suscitent alors la sidération. Dans la première catégorie, Jean-Luc Mélenchon, homme de tempérament autant que de convictions, a fait savoir cette semaine qu'il souhaitait prendre du recul, ralentir, s'extraire de la nasse. Constatant l'échec du Front de gauche depuis la présidentielle de 2012 mais, surtout, tirant les conséquences de sa nausée à l'égard du monde politique.
Un coup de cafard dont la gestation a été publique sur le blog de l'ex-candidat à la présidentielle, personnage à fleur de peau, politique surinvesti. Qui revendique de parler avec ses tripes et qui ne s'embrasse pas de fausse pudeur pour mettre parfois ses failles sur la table. Comme un cri, mais aussi comme un objet de débat.
Le mal est profond. Et ce type d'aveu, assez rare. Aveu de faiblesse à l'aune des codes d'une vie politique française où les carrières se mènent au long cours, sur plusieurs décennies, avec la croyance de tournoyer sur un manège dont il ne faut descendre sous aucun prétexte, sauf à risquer d'y perdre définitivement sa place? Ou aveu d'humanité, d'abord, de la part de responsables publics largement tombés de leur piédestal et pris dans une spirale institutionnelle et médiatique au rythme infernal.
Il y a maintenant quelques décennies, François Mitterrand a été un président malade du cancer des années durant. Aujourd'hui Jean-Louis Borloo n'hésite pas à lâcher tous ses mandats pour se soigner après une forte pneumonie. Plus ou moins durablement - et sincèrement parfois -, certains affirment décrocher par lassitude, d'autrespar blessure égotique ("puisque vous ne voulez pas de moi..."), mais d'une manière générale, tous sont usés par les mœurs du milieu, les désillusions et les couleuvres avalées.
Dans un autre registre, Carla Bruni-Sarkozy s'était émue au printemps 2012 du surmenage guettant son mari : "Il a un sens du devoir, Nicolas, inimaginable. Il n'arrête jamais. Il travaille tout le temps, il travaille vingt heures par jour. J'ai peur... heu... qu'il meure !" Mais quand "Nicolas" a dit qu'il quittait la vie politique après sa défaite en 2012, l'affirmation avait tout du serment d'ivrogne - l'intéressé étant le premier à reconnaître sa profonde addiction. L'hospitalisation de François Bayrou à l'hiver 2010 pour "surmenage" n'a en rien entravé sa vocation présidentielle. Jospin, Villiers et Léotard, ou plus récemment Voynet et Cohn-Bendit, ont, eux, bel et bien raccroché. Comme en son temps Dominique Baudis, décédé cette année. Certains sont même passés à tout autre chose, tels Eric Besson ou l'animatrice télé Roselyne Bachelot.
Sans tout envoyer valser, même Christiane Taubira et Cécile Duflot, deux guerrières de la politique, ont fait part de leur spleen. Sur Canal +, la ministre de la Justice a revendiqué à raison le "droit d'avoir des coups de blues", elle qui, depuis plus de deux ans, est la cible privilégiée de la droite dans son ensemble et de sa frange la plus réactionnaire et virulente en particulier. Certains épisodes racistes ont été d'une violence inouïe. Mais tenir envers et contre tout fait aussi partie de son combat politique. Sur Twitter, l'ex-ministre écologiste du Logement a, à un autre degré, fait part de son ras-le-bol : "Si je ne savais pas la sincérité et l'engagement de milliers de militants, la situation actuelle me dégoûterait durablement de la politique", a-t-elle écrit il y a peu après son retour à l'Assemblée. Évoquant par ailleurs le "blues de la femme politique écolo qui dans un déjeuner de presse voit les stylos se poser quand elle aborde ces sujets". Le genre de scène qui, les bons jours, donne un coup de cafard, et le reste du temps, l'envie de tout plaquer.
Libération,
N°10324,
Samedi 26 et Dimanche 27 juillet 2014, pp. 2-6