« J’ignorais comment les jeunes se trouvaient endoctrinés, j’ai
découvert qu’en réalité c’était extrêmement simple : l’endoctrineur sait
de quoi sont faits leurs sentiments, leur aigreur, il sait comment agir avec
eux, il sait quels points toucher en eux. À un jeune qu’il rencontre dans
la rue, il dit dans un premier temps que s’il est seul, sans rien, c’est que la
société fait tout pour qu’il ne soit personne, pour qu’il ne compte pas. Peu à
peu il le coupe de toute autre influence que la sienne, il le sépare de son
environnement familial et lui donne des repères de substitution : tu n’es
pas français comme les autres Français puisque tu n’as droit à rien, tu n’es
pas algérien ou tunisien comme tes parents, ton père a fait tous les boulots
dont les Français ne voulaient pas, tu es un musulman et tes seuls frères sont
ceux qui combattent pour l’islam. Ces jeunes possèdent une énergie abrupte, qui
n’a de prise sur rien et qu’il suffit au recruteur de détourner et de canaliser.
Pour l’endoctrineur, c’est un business comme un autre, il leur vend de la
religion comme il pourrait leur vendre de la drogue. Et si ça ne fonctionne pas
avec un, il passe à un autre, les proies ne manquent pas » (Mohamed
SIFAOUI). Marié à une jeune femme d’origine algérienne issue d’un de ces
quartiers que l’on est difficile, ‘Philippe FAUCON’ [le réalisateur] connaît
bien les personnages de « la Désintégration », dont il a remarqué « qu’ils
se renferment de plus en plus sur eux-mêmes, portés à une forme d’autisme par
des sentiments d’aigreur, de frustration, de déception, qui les conduisent à
des comportements très négatifs, de l’ordre du rejet, de la séparation ».
Aussi s’est-il déclaré intéressé lorsque deux jeunes producteurs, ‘Yves
CHANVILLARD’ et ‘Nadim CHEIKHROUHA’, lui ont proposé ce sujet qui retrace un
parcours similaire à celui de ‘Zacarias MOUSSAOUI’, un des vingt terroristes du
11 septembre 2001.
[Les acteurs d’origine maghrébine] que [‘Philippe
FAUCON’] a choisis sont magnifiques, de ‘Rashid DEBBOUZE’, jeune frère de Jamel
(26 ans), qui incarne Ali, celui qui tombe dans le piège, à ‘Yassine AZZOUZ’,
le recruteur, en passant par ‘Zahra ADDIOUI’, une non-comédienne, qui
interprète la mère d’Ali et à qui revient la conclusion du film, bouleversante.
De quelle « Désintégration » s’agit-il en vérité ? De celle de
gamins perdus, oui, sans aucun doute, mais avant tout et surtout de celle d’une
société toute entière. Aussi le film de ‘Philippe FAUCON’ fait-il froid dans le
dos. Mais il donne un sérieux coup de fouet, de ceux qu’on peut juger
salutaires.
Pascal MÉRIGEAU,
« L’endoctrineur »,
Le Nouvel Observateur,
N° 2466, 9 février 2012