dimanche 8 mars 2015

Géopolitique de l'espionnage

En dévoilant il y a un an et demi la machine de surveillance mise en place par les services de renseignement américains, l'affaire Snowden a démontré le peu de respect de l'administration de M. Barack Obama pour la vie privée. Mais sa portée est bien plus vaste : elle révèle les rapports de pouvoir à l'échelle mondiale et les mutations du capitalisme numérique.
[...] Depuis 1948, l'accord "United Kingdom - United States Communications Intelligence Agreement" (Ukusa) constitue le cœur des programmes de surveillance des communications mondiales. Dans ce traité, les Etats-Unis sont nommés "partie première" (first party) et la NSA est spécifiquement reconnue comme la "partie principale" (dominant party). Le Royaume-Uni, le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande représentent les "parties secondaires" (second parties). Chacun de ces pays, outre qu'il s'engage à assurer la surveillance des communications dans une région donnée, à partager ses infrastructures avec les Etats-Unis et à mener des opérations communes avec eux, peut accéder aux renseignements collectés selon des modalités fixées par Washington [Cf. Jeffrey T. Richelson et Desmond Ball, The Ties That Bind : Intelligence Cooperation Between the Ukusa Countries, Allen & Unwin, Boston, 1985, et Jeffrey T. Richelson, The US Intelligence Community, Westview, Boulder, 2008. Lire Philippe Rivière, "Le système Echelon", Le Monde diplomatique, juillet 1999].
Les pays de l'Ukusa - les five eyes ("cinq yeux"), comme on les appelle parfois - collaboraient dans le cadre de la guerre froide. L'Union soviétique représentait le principal adversaire. Mais, face aux avancées des mouvements anticoloniaux, anti-impérialistes et même anticapitalistes en Asie, en Afrique et en Amérique latine, les Etats-Unis ont étendu leurs capacités de collecte de renseignement à l'échelle mondiale. Les alliances ayant fondé ce système dépassent donc largement le cercle des premiers signataires. Par exemple, à l'est et à l'ouest de l'Union soviétique, le Japon et l'Allemagne comptent parmi les "parties tierces" (third parties) du traité. On notera que, à la suite des révélations de M. Snowden, Mme Merkel a demandé aux Etats-Unis de partager les renseignements dont ils disposent avec l'Allemagne, selon des conditions similaires à celles dont bénéficient les "parties secondaires". L'administration Obama lui a opposé une fin de non-recevoir.
[...] La collecte, massive et concertée, de données par les grandes entreprises n'est pas un fait naturel. Il a fallu la rendre possible, notamment en transformant l'architecture initiale d'Internet. Dans les années 1990, alors que le World Wide Web commençait tout juste à s'immiscer dans la vie sociale et culturelle, les entreprises informatiques et les publicitaires ont fait du lobbying auprès de l'administration Clinton pour réduire la protection de la vie privée au strict minimum. Ainsi, ils ont pu modifier le Net de façon à surveiller ses utilisateurs à des fins commerciales. Rejetant les initiatives de protection des données, fussent-elles timides, réseaux sociaux, moteurs de recherche, fournisseurs d'accès et publicitaires continuent d'exiger une intégration plus poussée de la surveillance commerciale à Internet - c'est la raison pour laquelle ils promeuvent le passage à l'informatique "en nuage" (cloud service computing). Quelques milliers d'entreprises géantes ont acquis le pouvoir d'accaparer les informations de la population du monde entier, du berceau à la tombe, à toute heure de la journée. Comme l'explique le chercheur Evgeny Morozov, les stratégies de profit de ces entreprises reposent explicitement sur les données de leurs utilisateurs. Elles constituent, selon les mots du fondateur de WikiLeaks, M. Julian Assange, des "moteurs de surveillance" [Lire Evgeny Morozov, "De l'utopie numérique au choc social", Le Monde diplomatique, août 2014. Cf. Jukian Assange, Cyberpunks : Freedom and the Future of the Internet, OR Books, New York, 2012].
Ces stratégies de profit deviennent la base du développement du capitalisme numérique. La dynamique d'appropriation des données personnelles électroniques se renforce puissamment sous l'effet d'une double pression, économique et politique. Pour cette raison même, elle s'expose à une double vulnérabilité, mise en lumière par les révélations de M. Snowden.
[...] Le rejet de la domination des intérêts économiques et étatiques américains sur le capitalisme numérique n'est pas seulement perceptible dans les sondages d'opinion. Pour ceux qui cherchent depuis longtemps à croiser le fer avec les compagnies américaines, les révélations de M. Snowden constituent une aubaine inespérée. En témoigne l'extraordinaire "Lettre ouverte à Eric Schmidt" (président-directeur général de Google) écrite par l'un  des plus gros éditeurs européens, M. Mathias Döpfner, du groupe Axel Springer. Il y accuse Google, qui détient 60% du marché de la publicité en ligne en Allemagne, de vouloir devenir un "super-Etat numérique" n'ayant plus de comptes à rendre à personne. En expliquant que l'Europe reste une force "sclérosée" dans ce domaine essentiel, M. Döpfner cherche bien sûr à promouvoir les intérêts des entreprises allemandes (Frankfurter Allgemeine Feuilleton, 17 avril 2004).
La stagnation chronique de l'économie mondiale exacerbe encore la bataille menée par les grandes entreprises et l'Etat pour accaparer les profits. D'un côté, les fournisseurs d'accès à Internet et les grandes entreprises forment la garde prétorienne d'un capitalisme numérique centré sur les Etats-Unis. A elle seule, la société Microsoft utilise plus d'un million d'ordinateurs dans plus de quarante pays pour fournir ses services à partir d'une centaine de centres de données. Android et IOS, les systèmes d'exploitation respectifs de Google et d'Apple, équipaient à eux deux 96%  des smartphones vendus dans le monde au deuxième trimestre 2014. De l'autre côté, l'Europe affiche de piètres performances : elle ne domine plus le marché des téléphones portables, et Galileo, son projet de géolocalisation par satellite, connaît de nombreux déboires et retards.
[...] En mai 2014, le président-directeur général de l'équipementier informatique Cisco a par exemple écrit au président Obama pour l'avertir du fait que le scandale de la NSA minait "la confiance dans notre industrie et dans la capacité des sociétés technologiques à vendre leurs produits dans le monde" (Financial Times, 19 mai 2014).
Pour les entreprises informatiques, la menace provenant du monde politique se précise. Certains Etats, invoquant les révélations de M. Snowden, réorientent leur politique économique. Le Brésil et l'Allemagne envisagent la possibilité de n'autoriser que les fournisseurs nationaux à conserver les données de leurs citoyens - une mesure déjà en vigueur en Russie. En juin dernier, le gouvernement allemand a mis un terme au contrat qui l'unissait de longue date à la compagnie américaine Verizon, au profit de Deutsche Telekom. Un dirigeant chrétien-démocrate a déclaré pour sa part que le personnel politique et diplomatique allemand ferait mieux de revenir à la machine à écrire pour tous les documents sensibles. Le Brésil et l'Union européenne, qui prévoient de construire un nouveau réseau de télécommunications sous-marin pour que leurs communications intercontinentales n'aient plus à dépendre des infrastructures américaines, ont confié cette tâche à des entreprises brésilienne et espagnole. De la même façon, Brasilia a évoqué l'abandon d'Outlook, le service de messagerie de Microsoft, au profit d'un système utilisant des centres de données implantés sur son territoire.
Cet automne, les représailles économiques contre les entreprises informatiques américaines se poursuivent. L'Allemagne a interdit l'application de partage de taxis Uber ; en Chine, le gouvernement a expliqué que les équipements et services informatiques américains représentaient une menace pour la sécurité nationale et demandé aux entreprises d'Etat de ne plus y recourir.
[...] Selon ses dires, M. Snowden espérait que ses révélations "seraient un appui nécessaire pour batîr un Internet plus égalitaire" [Glenn Greenwald, Nulle part où se cacher, JC Lattès, Paris, 2014]. Il voulait non seulement déclencher un débat sur la surveillance et le droit à la vie privée, mais aussi influencer la controverse sur les déséquilibres inhérents à l'infrastructure d'Internet.
Dans sa construction même, Internet a toujours avantagé les Etats-Unis. Une opposition, internationale mais sporadique, s'est fait entendre dès les années 1990. Elle s'est intensifiée entre 2003 et 2005, lors des sommets mondiaux sur la société de l'information, puis de nouveau en 2012, lors d'une rencontre multilatérale organisée par l'Union internationale des télécommunications. Les révélations de M. Snowden exacerbent ce conflit sur la "gouvernance mondiale d'Internet" [Lire "Qui gouvernera Internet ?", Le Monde diplolmatique, février 2013]. Elles affaiblissent la "capacité de Washington à orienter le débat sur l'avenir d'Internet", explique Financial Times, citant un ancien responsable du gouvernement américain pour qui "les Etats-Unis n'ont plus l'autorité morale leur permettant de parler d'un Internet libre et ouvert" (21 avril 2014).
Après que la présidente Rousseff eut condamné les infractions commises par la NSA devant l'Assemblée générale de l'ONU en septembre 2013, le Brésil a annoncé la tenue d'une rencontre internationale pour examiner les politiques institutionnelles définies par les Etats-Unis concernant Internet : le "NET-mundial, réunion multipartite mondiale sur la gouvernance d'Internet", s'est tenu à São Palo en avril 2014 et a réuni pas moins de cent quatre-vingts participants, des représentants de gouvernements, des entreprises et des associations.
Les Etats-Unis ont tenté de contrecarrer cette initiative : quelques semaines avant le rassemblement, ils ont promis, non sans poser plusieurs conditions importantes, d'abandonner leur rôle de supervision formelle de l'Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (Icann), l'organisme qui administre certaines des fonctions vitales du réseau. L'opération a réussi. A l'issue du NETmundial, la Software and Infirmation Industry Association (SIIA), établie aux Etats-Unis, s'est félicitée : "Les propos tenus sur la surveillance sont restés mesurés", et "cette rencontre n'a pas donné la part belle à ceux qui privilégient un contrôle intergouvernemental d'Internet, c'est-à-dire placé sous l'égide des Nations unies" [Carl Shonander, "SIIA welcomes outcome if NETmundial global multistakeholder meeting", 25 avril 2014, www.siia.net].
[...] A la suite du NETmundial, le groupe des 77 plus la Chine a appelé les entités intergouvernementales à "discuter et examiner l'usage des technologies de l'information et de la communication pour s'assurer de leur entière conformité au droit international" ["Declaration of Santa Cruz : For a new world order for living well", 17 juin 2014. Créé en 1964, le groupe des 77 réunit au sein de l'Organisation des Nations unies des pays en développement soucieux de promouvoir des intérêts économico-diplomatiques communs], et exigé que soit mis un terme à la surveillance de masse extraterritoriale.
Ainsi, le conflit structurel sur la forme et la domination du capitalisme numérique s'accentue. Bien que la coalition disparate liguée contre le pouvoir et les grandes entreprises de la Silicon Valley ait pris une certaine ampleur, ces derniers restent déterminés à préserver leur hégémonie mondiale. Selon M. Kissinger, avocat notoire de la suprématie des Etats-Unis, les Américains doivent se demander : que cherchons-nous à empêcher, quel qu'en soit le prix, et tout seuls si nécessaire? Que devons-nous chercher à accomplir, fût-ce en dehors de tout cadre multilatéral? Fort heureusement, les Etats, les multinationales et leurs zélateurs ne constituent pas les seuls acteurs politiques. Soyons reconnaissants à M. Snowden de nous l'avoir rappelé.
Dan SCHILLER*
Géopolitique de l'espionnage,
Le Monde diplomatique,
N°728, Novembre 2014


*Auteur de Digital Depression. Information Technology and Economic Crisis, University of Illionois Press, Urbana, 2014.



dimanche 1 mars 2015

الوهابية: الأداة الأيديولوجية لإمبريالية القرن 21

في كل مرحلة من مراحل الامبريالية، أيديولوجيا حاكمة أو أداة أيديولوجية حاكمة؛ فمن ادعاء المسؤولية الغربية إزاء تمكين الأمم من «التحضّر» في عصر الاستعمار الكولونيالي، إلى النازية والفاشية اللتين حاولت أقسام من الامبريالية، بواسطتهما، تجاوز أزمة الرأسمالية واستعباد الشعوب، إلى معاداة الشيوعية باسم «الحرية» في عصر الحرب الباردة، إلى اقتصاد السوق المعولَم والنيوليبرالية المعادية للدول الوطنية، ودورها الاقتصادي الاجتماعي، في فترة القطب الواحد.
العنصر الأيديولوجي الأساسي في الرؤية الأميركية ــــ الغربية الجديدة نحو العالم، تبلور في منظومة ما بعد الحداثة، أو، للدقة، المنظومة المضادة للحداثة؛ فإذا كانت قيم الحداثة تقوم على الانتاج والعقلانية والإنسانية والموضوعية العلمية والدولة الوطنية ــــ القومية الخ؛ فإن فكر ما بعد الحداثة، يقوم على مركزية الأدوات المالية المصرفية ــــ العقارية ــــ الطاقويّة، واللا ــــ عقل، وتسخيف القيم الإنسانية، واعتبار الموضوعية، زائفة، ونفي المعايير البينية، وتفكيك الدول القومية.
في مواجهة هذا المسار الأيديولوجي، بدأت تتحرك دول قومية تستعيد قيم الحداثة، كما في روسيا ودول أخرى صاعدة، ذات توجهات حداثية. هذا التحدي، يختلف، نوعيا، عن التحدي الشيوعي؛ فهو يندرج في سياق التنافس الاقتصادي، ويشق الرأسمالية العالمية نفسها، ويدفع صوب نماذج رأسمالية قومية جديدة، ووسائل توسّع غير استعمارية. فالصين، توسعت عالميا من دون أن يتحرك جيشها خارج الحدود. وترفع روسيا راية القومية والدولة في عصر العولمة الغربية القائمة على اخضاع العالم، كليا، لنموذج اقتصادي اجتماعي ثقافي واحد، هو النموذج الأميركي. ويستعيد الروس، كأيديولوجيا، قيم الحداثة، وفي مقدمها الاحتكام إلى الشرعية الدولية.
في العقد الأخير من الحرب الباردة، كانت الولايات المتحدة، قد لجأت إلى الاسلام الوهّابي ــــ بتجلياته الاخوانية والتكفيرية الإرهابية ــــ للقيام بمعركتها النهائية مع السوفييت في أفغانستان؛ وحين سقط الاتحاد السوفياتي ومنظومته العالمية، وبدأت مرحلة القطب الواحد والنيوليبرالية المنفلتة، وجدت واشنطن أنه آن الأوان، لوضع سلاح الاسلام الوهابي في الأدراج، والشروع ــــ تحت تأثير المحافظين الجدد ـــــ بالتخلص من «عقدة فيتنام»، وإرسال الجيش الأميركي للقيام بمهمات الحرب، آمنا من توازن الرعب السابق مع موسكو؛ غير أن هذه التجربة، انتهت بتشكُّل «عقدة العراق». هنا، بدأ التفكير، مجددا، باستخدام الأدوات الوهابية، مرةً أخرى؛ فجرى اضعاف واغراق المقاومة العراقية ــــ ذات المثابرة والكثافة النارية غير المسبوقة ــــ في الحرب الأهلية المذهبية، والتمكين لانتشار ميليشيا «القاعدة» التي حولت الصراع في العراق، من مقاومة الاحتلال إلى مقاومة المكوّنين الشيعي والمسيحي. وقع هذا الخيار في العراق، في العام 2005، متزامنا مع تحشيد مذهبي «ليبرالي» في لبنان وسوريا، انفجر في اغتيال رفيق الحريري، المنسق العام للانقلاب الأميركي ــــ السعودي ــــ المذهبي في البلدين.
لم ينجح المشروع الأميركي في لبنان وسوريا، لكنه نجح، جزئيا، في العراق الذي، مع ذلك، استطاع أن يحول الحرب الأهلية من مستوى التوتر العالي إلى حرب من المستوى المنخفض.
بدأ التحضير للتغيير الايديولوجي نحو اعتماد الوهّابية كأداة أيديولوجية للامبريالية في عصر ما بعد الحداثة، منذ، وبانتخاب، باراك أوباما (المسلم السابق، الأسمر البشرة) رئيسا للولايات المتحدة، العام 2009؛ بدأ بخطاب ودي استرضائي نحو الإسلام والمسلمين بعامة، وأوقف «الحرب على الإرهاب»، وبدأت إدارته حوارا مع الإخوان المسلمين، تُوّج، في العام 2010، بتفاهم استراتيجي، سبق ما سُمّي «الربيع العربي»؛ مرحلة قصيرة من التفكيك، يتلوها سيطرة الإخوان المسلمين على مفاصل المنطقة. ولعبت كل من تركيا وقطر، الدور الرئيسي في تفعيل هذا المسار.
بصمود سوريا، والتحامها مع المقاومة في لبنان، وقيام تحالف روسي ــــ ايراني لدعم دمشق والتصدي لمنتجات «الربيع» الأسود، ونجاة مصر من حكم الاخوان، واستمرار الحراك في البحرين، وانبثاق قوة الحوثيين في اليمن؛ بكلّ ذلك وسواه من مظاهر نشوء جدار مضاد للإمبريالية، ذهبت واشنطن نحو الخيار الوهّابي الإرهابي حتى منتهاه؛ لقد أظهرت أزمة أوكرانيا، ضعف الفاشية في أوروبا، بينما محدودية عديد اليهود في العالم، والطابع الاثني الضيّق للدين اليهودي، وعزلة إسرائيل، تجعل الفاشية الصهيونية خارج المنافسة؛ أما المسيحية، فمن الواضح أنها تعلمنتْ، نهائيا.
الاسلام الوهّابي الحركي، بكل أشكاله السياسية والإرهابية المتداخلة، يسمح للإمبريالية (1) بتحشيد دول ومليشيات، وراءها، في الإشعال المستمر للحروب الأهلية العربية، (2) وبشن العدوان على البلدان العربية المركزية (العراق، سوريا، مصر) بواسطة الميليشيات المدارة مباشرة أو عبر تركيا ــــ السعودية ــــ قطر، (3) تهديد روسيا وايران وحتى الصين بالإرهاب؛ (4) وبالمقابل، فإن اعتماد الأيديولوجية الوهّابية بالمقلوب، يسمح للإمبريالية، بالتحكم بالشعوب الغربية، واخضاعها للإسلاموفوبيا.

ناهض حتر
سياسة
العدد ٢٥٢٩ الجمعة ٢٧ شباط/فبراير ٢٠١٥