Notre constitution accorde les pleins pouvoirs à
un président appuyé sur une minorité de citoyens. Il est donc urgent d’en
changer et de créer les conditions d’un
big bang politique et économique.
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u bien on n’ose pas le
voir.
Ou bien on n’ose pas
le dire.
Quoi ? Que la Ve
République est morte.
Ou, tout au moins,
qu’elle se meurt. Et que ce système institutionnel, qui a été totalement
détourné de son esprit originel, est devenu un tel facteur d’étouffement et
d’asphyxie de notre vie publique, que c’est tant mieux. Qu’il faut l’achever.
Le plus vite possible.
Résumons.
1.
Un président de la
République qui a perdu toute crédibilité, donc toute autorité. Il n’est pas
haï comme Sarkozy, il n’intéresse plus.
2. Un Premier ministre que
le président ne désirait pas et dont le taux de popularité est trois fois
supérieur au sien.
3.
Un parti dit
« majoritaire » dont une large faction désapprouve, y compris par ses votes, la politique menée par le
gouvernement dont il est censé constituer la majorité.
4.
Une majorité dite
« de gauche » qui, ayant perdu l’essentiel de ses composantes de
gauche, ne tient plus qu’à un fil, sauf à être sauvée par le centre-droit.
5.
Une droite qui, en vertu
de la logique bipolaire, s’oppose à tout ce que, précédemment, elle
exigeait.
6. Une évolution des
rapports de force électoraux qui signe l’arrêt de mort du bipartisme. Or,
le bipartisme UMP-PS constituait le principal ressort permettant le
fonctionnement de notre système institutionnel
Ces six constats vont
dans le même sens : toutes les composantes de notre machinerie
institutionnelle sont tombées en panne. Résultat : le véhicule est à la
ramasse.
D’autant qu’à ces
dysfonctionnements s’en ajoutent d’autres.
- Les deux partis qui représentent 80 % de la représentation nationale ne bénéficient plus du soutien que de 40 % des électeurs. Et même de moins de 20 %, si on prend en compte les abstentionnistes, les non-inscrits sur les listes électorales et ceux qui sont dépourvus du droit de vote.
- Le parti qui risque d’arriver en tête aux élections européennes et en deuxième position à l’élection présidentielle n’existe pas légalement, puisqu’il ne dispose d’aucune représentation officielle dans les assemblées.
Notons que le parti de Jean-Luc Mélenchon,
omniprésent dans les médias, n’a lui non plus aucun député, pas plus que celui
de François Bayrou, qui arrive en quatrième position dans les sondages de
popularité. Le Parlement comme l’image inversée du pays, en somme.
- La dichotomie conflictuelle entre les deux faces du pouvoir exécutif devient ubuesque. Ainsi, le président de la République, objet d’un puissant rejet dans l’opinion, devrait, dans l’intérêt du pays et plus encore de son propre camp, prendre de la hauteur, du recul, laisser son Premier ministre exercer un pouvoir effectif. Or, pas du tout. Au contraire, il multiplie les initiatives, se fait omniprésent, rappelle, à tout bout de champ, que c’est lui qui « fixe la feuille de route », sachant bien que, ce faisant, il étouffe Manuel Valls, le décrédibilise et, à terme, sape son autorité et annihile sa passagère popularité.
Ce qui apparaît donc, déjà, c’est que Hollande
cherche à détruire l’option Valls avant 2017, comme Mitterrand parvint à
détruire l’option Rocard ou Pompidou l’option Chaban-Delmas.
- L’UMP, si on votait aujourd’hui, aurait toutes les chances de gagner les élections. Or, son leader, Jean-François Copé, est l’une des personnalités politiques les plus discréditées de France. Elle est même rejetée par une large majorité des électeurs et des sympathisants de droite.
- Un claquement du doigt a suffi pour dégager le patron en titre du PS, Harlem Désir, et un autre claquement de doigt pour le remplacer par un autre apparatchik, Jean-Christophe Cambadélis : sans la moindre consultation préalable des militants. Preuve que ce parti est tombé aux mains d’une nomenklatura déconnectée de toute base dont la mission n’est pas de le faire vivre mais, au contraire, de le neutraliser.
- Ce qui est effarant, dès lors que la nouvelle orientation gouvernementale (à tort ou à raison) tourne totalement le dos aux engagements sur lesquels les députés socialistes ont été élus, ce n’est pas que 80 d’entre eux aient fait part de leur émotion ou trouble, c’est que 200 n’aient pas bronché, comme s’ils étaient devenus de simples pions que l’exécutif peut déplacer à sa guise. Logique institutionnelle oblige.
Et cela bien qu’en privé les petits soldats
disciplinés déversent leur fiel sur la présidence de la République avec d’autant
plus de hargne qu’ils s’autobâillonnent en public.
- Jamais, sans doute, dans l’histoire de la République, les deux grandes formations politiques censées représenter la droite et la gauche dite « de gouvernement » n’avaient eu pour porte-parole des personnalités d’une telle médiocrité. Ainsi, les deux présidents des deux groupes parlementaires, Bruno Le Roux et Christian Jacob, un ectoplasme et un imbécile.
Comment peut-on
défendre une pratique institutionnelle qui débouche sur une telle accumulation
de dysfonctionnements et d’aberrations ? Comment peut-on s’accrocher, à l’exemple
du pouvoir médiatique, à un système dont la réalité du pays a fini par s’éloigner
jusqu’à un tel divorce ?
La France est le seul
pays de l’Union européenne qui soit doté d’institutions semblables. Or, est-ce
le pays qui se porte politiquement, psychologiquement, moralement le mieux ?
Non, c’est un de ceux qui se portent le plus mal.
VERS L’ABÎME
La France, contrairement à ses partenaires, ne
dispose d’aucun dispositif de sortie normale de crise, d’aucune forme de
souplesse adaptative : un gouvernement conduit une politique absolument
contraire à celle pour la conduite de laquelle sa majorité avait été élue (que
cette politique soit bonne ou mauvaise est un autre débat). Or, il ne peut pas
modifier les contours de cette majorité. Ce qui signifie :
- soit qu’il n’a pas la majorité de sa politique ;
- soit qu’il s’appuie sur une majorité parlementaire complètement coupée du pays réel ;
- soit qu’il ne dispose plus de majorité du tout.
Bon système ? Qui permet de rassembler le pays
autour d’un projet ?
Qui le croit ? Demain, il faudra engager le
pays dans une passe difficile en ne s’appuyant que sur un socle de 15 % des
électeurs et de 8 % des citoyens.
Qui ne perçoit vers quel abîme cela risque de nous
entraîner ?
Or, en haut, justement parce qu’on se croit protégé
par un système institutionnel devenu aussi baroque que déresponsabilisant, on
feint de ne pas s’en soucier.
François Hollande, de plus en plus « ravi de
la crèche », vient de faire une déclaration inouïe dans la bouche d’un
président socialiste de la Ve République : « Je sens
pointer la proximité d’un retournement économique », a-t-il annoncé. Autrement
dit, toute forme de volontarisme s’est effacée devant l’attente un peu béate d’une
évolution favorable de la conjoncture. On ne change plus les choses, on espère
que les choses changeront.
« Quand je suis arrivé à l’Élysée, la France
était en dépôt de bilan », vient d’admettre François Hollande. Terrible.
A l’époque, il ne l’a pas dit. Il n’a pas placé le pays devant cette réalité. Il
a cherché à l’endormir.
UN PS À
RECONSTRUIRE
Et si le retournement attendu advenait en effet ?
Une petite reprise, une légère baisse du chômage ? Cela arrivera,
évidemment. On le souhaite. On s’en réjouira. Mais, hélas, cela ne changera pas
grand-chose.
Rien au problème Hollande.
Rien à l’effarante inadéquation de notre système institutionnel.
Rien à l’état délétère du Parti socialiste.
Autant de boulets dont le pays ne pourrait se
libérer :
- qu’en retirant l’essentiel du pouvoir exécutif effectif au président pour, dans son intérêt, le transformer en arbitre et en juge de paix ;
- qu’en réformant radicalement, comme en 1958, un système institutionnel obsolète, usé jusqu’à la corde, ainsi qu’un système électoral qui déconnecte la représentation nationale des réalités du pays ;
- en dissolvant, comme l’avait fait jadis François Mitterrand, un Parti socialiste décrépit pour reconstruire, sur ses ruines, une authentique force de mouvement et de progrès, moderne et élargie.
Est-on conscient de ce qui risque de se passer si
tout reste en l’état ?
Non seulement un PS déliquescent se marginalisera
électoralement, mais le Front national et l’UMP obtiendront des résultats très
proches, autour de 23 %. Or, à partir de ce moment, l’effet de notre mode de
scrutin électoral se retourne complètement. L’UMP se trouvera, alors, placée
devant ce dilemme : soit refuser toute alliance avec le FN et perdre des
élections contre une gauche pourtant à l’agonie ; soit (et c’est
finalement ce qui se passera) conclure un accord, gagner les élections sur
cette base et faire du parti national-lepéniste l’arbitre de la nouvelle
majorité. Non seulement celui-ci disposera de plusieurs dizaines de sièges au
Parlement mais, plus grave, la majorité des élus UMP seront placés sous sa pression,
donc sous sa dépendance.
Bien sûr, cette redoutable échéance suscitera
peut-être une réaction en forme de big bang.
- L’aile la plus républicaine de la droite, représentée par exemple par un Alain Juppé, reprendra ses billes et se rapprochera du centre-droit.
- Le PS, confronté à la fureur de son électorat, finira par éclater et son aile droite sociale-libérale, au nom de la nécessite de faire barrage au Front national, se rapprochera du centre-droit et de la droite modérée.
- Ce qui débouchera, à terme, sur une alliance au centre Juppé-Bayrou intégrant l’aile droite du PS et s’opposant à la fois à la droite dure et à la gauche dure.
Cela signifiera la fin de la Ve
République. Tant mieux ! Ce sera préférable, évidemment, à la terrible
perspective qui nous attend.
Ce n’est pas « au centre », c’est-à-dire « au
milieu », que devraient se nouer les nécessaires convergences, mais « en
avant ». Plutôt qu’un néocentrisme, une nouvelle alliance salvatrice telle
que celle, dont le général de Gaulle fut l’âme, qui permit, en un temps
beaucoup plus dur que celui d’aujourd’hui, à une France exsangue de bondir et
de rebondir.
CE QUI EXIGE, RÉPÉTONS-LE :
- qu’on règle le problème Hollande ;
- qu’on réforme la Constitution de façon à se doter d’un système institutionnel enfin adéquat aux réalités d’aujourd’hui ;
- que le PS, tel qu’il est devenu, se dissolve pour que la gauche ressuscite ;
- que la droite républicaine et patriote se libère de ses démons.
Oui, c’est possible.
Jean-François Kahn
Marianne
N°890, du 9 au 15 mai 2014, pp. 10-12
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