vendredi 19 avril 2013

Maroc. La révolution, c'est pour 2018

Moulay Hicham, le turbulent cousin de Mohammed VI, n'est pas surnommé le Prince rouge en vain: il prédit dans la dernière livraison de la très sérieuse revue "Pouvoirs" la révolution et la chute de la monarchie marocaine en 2018.


Martine GOZLAN - Marianne - 17/04/2013

Moulay Hicham, dit le Prince Rouge
Moulay Hicham, dit le Prince Rouge
 C'est l'enfant terrible du Palais, le cauchemar de son cousin Mohammed VI, roi du Maroc. Le prince Moulay Hicham el Alaoui, 49 ans, est un gauchiste. Surnommé "Le Prince Rouge", il est interdit à la Cour, ce qui ne l'empêche pas de faire le buzz à chacune de ses déclarations sur le royaume, qu'il parle de l'université de Stanford, aux Etats-Unis, où il est chercheur en sciences sociales ou bien des plateaux télévisés. Sa vivacité et son intelligence plaisaient à Hassan II tout en terrifiant le despote qui l'éloigna avec la fureur d'un amour déçu. En conséquence, Mohammed VI l'a toujours jalousé.
Le Prince Rouge a soutenu le mouvement du 20 février , né en 2011 dans le sillage des révolutions tunisiennes et égyptiennes. Il se prononce régulièrement pour "une monarchie réformée" comme dans cette interview à nos confrères de l'Express où il déclarait tout net: "La sacralité n'est pas compatible avec la démocratie: il faut  renoncer au caractère sacré de la personne du roi".
Aujourd'hui, Moulay Hicham va encore plus loin. Cette fois, il a choisi la revue française "Pouvoirs", dirigée par Olivier Duhamel, pour prédire  un avenir radieux au peuple marocain mais pas à son souverain. Sous la forme d'un moderne conte oriental, le Prince se voit revenir le 8 février 2018 dans un Maroc révolutionnaire. La " Révolte du cumin" aura alors balayé le vieux monde devant les portes des palais  royaux. Ce "tsunami" se distinguera des autres par sa " vigueur, son calme et son ordre". "L'autre Maroc" naitra des cendres du précédent en abolissant les privilèges de la monarchie, le système absolutiste du "Makhzen".

Mohammed VI aura perdu la sacralité et ses privilèges
Mohammed VI aura perdu la sacralité et ses privilèges
C'est un véritable "anéantissement" du Trône actuel, avec sa main mise sur l'exécutif et sur l'économie que prédit avec un talent indéniable le Monsieur Soleil de la dynastie alaouite. Les sites du Maghreb en reprennent depuis quelques heures les grandes lignes sur un ton mi-sceptique, mi-fasciné ( Mag.ma, le quotidien maghrébin en ligne) ou franchement amusé comme  Tel quel, site survivant de l'hebdo du même nom qui a subi à maintes reprises, pour son impertinence rafraichissante, les foudres du Palais. Alors que chacun se gargarise de "l'exception marocaine" ( on disait naguère "exception tunisienne" sous Ben Ali!), et félicite "M6", surnom du Commandeur des Croyants, il est en effet assez piquant de lire sous la plume de son cousin ces lignes quasiment trotzkystes:
" Le Maroc sera fort économiquement parce qu'il se libèrera du joug des réseaux Makhzéniens rentiers qui tuent l'économie et s'accaparent illégitimement les richesses du pays"...
Et encore:
"La monarchie donnera les palais royaux à l'Etat et n'aura plus de chasses gardées dans les secteurs gouvernementaux, militaires et sécuritaires"
Et aussi:
" Le budget du Palais sera soumis à l'approbation du Parlement"
Parce qu'il y aura encore un Palais, même sans Palais. Un petit Palais- un  pavillon?- pour le roi qui ne sera plus ni sacré ni business man, mais vague survivant d'une tradition par ailleurs bien chahutée. Son immense fortune redistribuée enfin aux masses ( rappelons que le Maroc compte 84% d'analphabètes chez les femmes rurales et ceci n'est pas un conte), il ne pourra plus figurer au hit-parade des monarques les plus riches de la planète.
Comment arrivera-t-on dans cinq ans à cette utopie de révolution calme, de bouleversement tranquille, de maelstrom pacifique? Moulay Hicham fait confiance à la maturité grandissante de ses compatriotes, à leur évolution civique ...et à "l'inefficacité" des Frères musulmans actuellement au pouvoir, ce PJD, parti de la Justice et du Développement, qui a donné un Premier ministre islamiste au royaume, forcément adoubé par le roi. Roi que chacun félicite de "contrôler" savamment ses islamistes. Cet hyper-contrôle signera précisément leur chute en même temps que la mobilisation des deux forces qui, selon le Prince Rouge, reflètent le Maroc profond: le mouvement Adl Wa al Ihsane et l'extrême-gauche. 

C'est là que le bât blesse et que le conte fait subitement froid dans le dos. Car le mouvement Adl wa Ihsane, "Justice et Bienfaisance", actuellement interdit, c'est de l'islamisme encore plus hard que celui du parti de gouvernement. Son chef, Abdessalam Yassine, récemment décédé, prônait un Etat islamique et ses successeurs continuent sur sa lancée.  En janvier, Fathallah Arsalane, secrétaire général du mouvement, a déposé une demande de légalisation restée pour le moment lettre morte.
Moulay Hicham anticipe et imagine la constitution en parti politique de l'organisation. Après la grande " Révolte du cumin" ( dont on n'arrive pas à comprendre comment elle se fera sans une seule goutte de sang...), Adl Wa Ihsan et l'extrême-gauche remporteront les élections et gouverneront le Maroc. Il y aura donc alliance entre l'ultra-islamisme et l'ultra-gauchisme. Vision qui reflète assez bien le mouvement de fond des oppositions souterraines qui ont précédé les révolutions arabes. Le Prince Rouge, transfuge du Palais et amant du peuple, est en cela fidèle à l'idéologie qui l'a toujours aimanté.
Force est de constater, hélas, que sa prophétie n'est pas rose comme les roses de la vallée de l'Ourika mais verte, ultra-verte comme les vallées du Califat.

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